Extrait d'une audition de la FNE, de la FRAPNA et de Mountain Wilderness
Sénat 2002-2003

RAPPORT D'INFORMATION
Fait au nom de la mission commune d’information (1) chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne et en particulier de l’application de la loi du 9 janvier 1985, de son avenir, et de ses nécessaires adaptations,
Par M. Jean-Paul AMOUDRY,
Sénateur.

TOME II : AUDITIONS (extrait de l’audition de la FNE, Frapna, MW)
(1) Cette mission commune d’information est composée de : M. Jacques Blanc, président ; M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur ; MM. Auguste Cazalet, Jean-Pierre Vial, Michel Moreigne, Mme Josette Durrieu, M. Pierre Hérisson, vice -présidents ; MM. Gé rard Bailly, Jean-Paul Émin, François Fortassin, Mme Josiane Mathon, M. André Rouvière, secrétaires ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Jean-Pierre Bel, Roger Besse, Jean Boyer, André Ferrand, Charles Ginésy, Georges Gruillot, Pierre Jarlier, Philippe Leroy, Paul Loridant, Jean-Pierre Masseret, Paul Natali, Roger Rinchet, Bernard Saugey, Daniel Soulage.

Aménagement du territoire.

34. Audition de MM. Marc Maillet, membre du conseil d’administration de France Nature Environnement et membre du Conseil national de la montagne, Eric Feraille, représentant du réseau Montagne de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) et Gilles Privat, secrétaire général de Mountain Wilderness (26 juin 2002)

M. Marc Maillet - Je remercie la commission de son invitation. La société française souhaite effectuer un effort pour protéger ses montagnes. Les associations ont un rôle important à jouer dans cette mobilisation. Nous sommes de trois types d'associations. France Nature Environnement (FNE) est une fédération nationale importante qui compte quarante salariés et travaille en réseau et en mission. Une mission montagne existe même si son poids dans le travail de mobilisation fédéral n'est pas le plus fort. La Fédération regroupe 80 fédérations au niveau régional dont certaines sont spécialisées par thème, ce qui représente 10.000 bénévoles membres de conseil d'administration lesquels détiennent des responsabilités et Une certaine influence. Le nombre d'adhérents s'élève à 600.000 personnes. Nous publions un rapport d'activité accessible à tous sur le site Internet. Je représente FNE ce jour car je siège au sein du Comité de massif des Pyrénées ainsi qu'au Conseil national de la montagne. Je laisse le soin à mes collègues de se présenter. Nous avons prévu de nous répartir les tâches s'agissant des questions que vous nous avez adressées mais notre constat et nos conclusions sont les mêmes.

[…]


Nous nous opposons à la banalisation de la montagne. Nous défendons également la notion de développement durable qui apparaît aujourd'hui dans les discours de façon systématique. Mais ces déclarations doivent être recentrées par rapport à l'origine du concept. Un développement durable qui ne prendrait pas en compte les préoccupations de protection serait un non-sens. Le développement durable doit devenir le fil conducteur de la politique de la montagne. Il implique une économie respectueuse des ressources naturelles tant sous leur aspect quantitatif que qualitatif et la préservation de la diversité biologique. Cette politique devrait être relayée au niveau local par l'institution de comités de pilotage de massifs présentant une unité géographique, économique et culturelle. S'agissant des espaces naturels, la biodiversité recule sous l'effet conjugué de la déprise agricole, des aménagements touristiques, de l'artificialisation des milieux, de l'urbanisation et de la pollution. Afin d'enrayer ce recul de la diversité biologique, support essentiel de la qualité des paysages indispensables à l'activité touristique, il est urgent d'adopter une politique cohérente de protection et de gestion des espaces naturels fondée sur l'identification des espaces naturels remarquables au sein de chaque massif et l'utilisation des outils de protection existants avec une mention particulière pour le réseau Natura 2000.
Ce dernier constitue un outil de protection moderne utilisable à grande échelle et impliquant la participation de tous les acteurs locaux. La préservation des continuums et des corridors biologiques est impérative pour le maintien à long terme de la diversité biologique. Concernant l'agriculture, celle-ci a façonné les paysages de montagne et se révèle indispensable à la préservation de la diversité biologique et de l'identité culturelle montagnarde. Afin de relever le défi de la pérennisation de l'agriculture montagnarde traditionnelle, il convient d'assurer sa compétitivité par une production labellisée à forte valeur ajoutée, la mise en place de circuits de distribution courts, des aides à la mise aux normes des installations, la préservation des terres agricoles face à l'urbanisation, la revalorisation des aides apportées par les Contrats Territoriaux d'Exploitation (CTE), l'adoption d'une législation permettant le maintien et le retour du pastoralisme. Le rôle clé de l'agriculture dans l'entretien des espaces naturels et des paysages doit être explicitement reconnu. Cette tâche doit être rendue possible par des mesures d'aides spécifiques à l'embauche dans le cadre des CTE ou des contrats Natura 2000.
En matière de tourisme et loisirs, l'impact des équipements lourds destinés à favoriser la pratique du ski alpin est considérable et a profondément altéré la perception de la montagne. La montagne est perçue non plus comme un espace vivant et habité mais comme un gigantesque stade dédié aux loisirs.
La stagnation de la demande, le réchauffement climatique et l'impact environnemental et paysager majeur de ces équipements doit conduire à une réorientation radicale de la politique de développement touristique vers l'abandon de l'extension des domaines skiables, l'amélioration de l'existant, et la diversification de l'offre en l'orientant vers le contact avec l'habitant et le tourisme dit vert.
Le développement touristique de masse a créé de graves disparités entre les communes disposant d'un domaine skiable rentable et celles dont l'environnement reste préservé. Les revenus de l'activité touristique doivent être répartis par le biais d'un système de coopération intercommunale à l'échelle des massifs géographiquement et culturellement cohérents. La valeur biologique des forêts spontanées de montagne devrait être explicitement reconnue et sa gestion extensive favorisée.
La prévention de la pollution du milieu aquatique devrait être prioritaire et faire l'objet de mesures spécifiques. En raison du relief, de l'isolement, du travail séculaire des agriculteurs et de la grande variété de microclimats, la richesse des milieux naturels montagnards est exceptionnelle. Il s'agit d'un patrimoine d'une valeur inestimable et d'une grande fragilité. Nous avons le devoir de le conserver dans le meilleur état possible. Si la valeur du patrimoine bâti en tant que témoin de l'identité culturelle est reconnue, la valeur patrimoniale et culturelle des espaces naturels est à l'heure actuelle largement sous-évaluée et doit être clairement affirmée par la politique de la montagne. En effet, la diversité biologique est plus grande sur
3.000 mètres de dénivelé en montagne que sur 3.000 kilomètres de plaine.
L'évolution des milieux naturels montagnards au cours de ces dernières années n'est pas réjouissante. Malgré la création de quelques sanctuaires protégés, la biodiversité recule de manière alarmante sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs : la déprise agricole qui entraîne la fermeture des paysages par boisement spontané ou artificiel, mais aussi la transformation des pâturages d'altitude abandonnés en landes à faible diversité biologique.
Les activités touristiques de masse entraînent la destruction directe des milieux et particulièrement la création ou l'extension de domaines skiables et
les réalisations connexes d'immobilier de loisir.
Elles ont également pour effet :

[…]

En conclusion, la politique de la montagne devrait avoir pour ligne directrice le développement durable impliquant la préservation et la gestion des espaces naturels remarquables avec des outils appropriés et la prise en compte de la "nature ordinaire" dans la politique d'aménagement afin de préserver et/ou de restaurer la continuité des milieux naturels et le fonctionnement des corridors écologiques. Il faudrait aussi veiller à pérenniser l'agriculture traditionnelle de montagne en reconnaissant explicitement son rôle clé dans la préservation des espaces naturels et des paysages remarquables sur lesquels se fonde l'activité touristique. Il faudrait aussi favoriser l'activité des filières agropastorales afin de permettre le retour des bergers, orienter le développement du ski alpin sur des aspects qualitatifs et mettre un terme à la politique d'extension des domaines skiables génératrice d'atteintes graves aux paysages, aux milieux naturels, à la faune, à la flore et à l'identité culturelle. Le développement touristique devrait être axé sur une offre diversifiée, équilibrée, facteur de cohésion sociale et respectant le patrimoine naturel et culturel des espaces montagnards. Il faudrait aussi favoriser la qualité et l'exploitation extensive des boisements de montagne, reconquérir la qualité de l'eau, réduire les nuisances du transport de transit international et de la circulation des engins de loisirs motorisés. Nous soulignons que l'unité pertinente pour atteindre les objectifs de préservation du patrimoine naturel est celle du massif présentant une unité culturelle, historique, géographique et économique, y compris dans ses aspects transfrontaliers. La création de "comités de pilotage" de ces massifs au sein desquels tous les acteurs de la vie locale, dont les associations de protection de l'environnement seraient représentés de manière équilibrée pourrait être la pierre angulaire de la politique de développement durable de l'espace montagnard. En son sein pourraient être intégrés à l'échelon local les impératifs de préservation des milieux naturels, les besoins de l'activité agricole, les méthodes de gestion et d'exploitation des espaces boisés, la préservation ou la reconquête de la qualité de l'eau et le développement touristique respectueux de l'environnement et de l'identité culturelle.

N° 15
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 octobre 2002

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