Le long sommeil de la marmotte



De nombreux animaux ne supportent pas l'hiver et sont obligés de fuir leur pays natal, comme les oiseaux migrateurs. D'autres ont trouvé une parade afin de se protéger. Ainsi, la marmotte qui, dès le mois d'octobre, entre dans une période d'hibernation qui va durer six mois environ.


L'automne est là. Malgré le beau temps d'arrière saison, les jours ont raccourci, marquant la fin de l'été. Beaucoup d'animaux s'y sont préparés, sensibles au changement d'atmosphère. La course du soleil déclinant de plus en plus, les brumes de l'aube, la chaleur moins forte sont autant de signes pour eux. Les hirondelles sont déjà parties. Les autres oiseaux migrateurs ont entamé leur long périple vers le Sud. Les animaux qui restent sur place devront faire face à l'hiver et son cortège de neige et de glace. Ceux qui habitent la montagne sont particulièrement exposés aux intempéries. Le froid arrive de bonne heure en altitude, où les températures descendent rapidement. La neige tombe en masse et persiste longtemps. La fonte ne s'effectue pas avant mars voire avril, selon les endroits.

Pour survivre, les créatures montagnardes vont devoir passer la mauvaise saison à l'abri, en vivant au ralenti : c'est l'hibernation. Beaucoup de mammifères entrent en léthargie dès le milieu de l'automne. Ainsi l'ours et le blaireau mais il ne s'agit pas d'hibernation à proprement parler, car la température du corps descend de quelques degrés " seulement ".

Chez les marmottes alpines, les plus gros rongeurs de nos contrées à pratiquer ce système, la température interne chute bien davantage passant de 37 °C à 5 ou 6 °C ! Une perte de plus de trente degrés qui permet d'économiser ainsi de l'énergie durant plusieurs mois. Les battements cardiaques diminuent aussi sensiblement, tout comme les mouvements respiratoires, à peine perceptibles.

Les marmottes tombent dans un sommeil profond. Pourtant, elles vont se réveiller plusieurs fois au cours de l'hiver… et se rendormir ! Les scientifiques s'interrogent encore sur la cause de ces reprises de conscience, car les animaux n'en profitent pas pour se nourrir. De plus, cela demande une très grande dépense d'énergie. Elles semblent pourtant obligatoires, peut-être pour éviter la mort, l'organisme ne supportant pas une léthargie totale et ininterrompue pendant six mois…

Heureusement, les marmottes ont tout prévu pour passer au mieux cette période. Elles se sont gavées durant l'été afin de constituer des réserves de graisse. Elles doublent ainsi leur poids avant l'hibernation et fondent littéralement pendant. Leur organisme est ainsi fait qu'il va puiser directement dans la couche de graisse accumulée sous la peau pour continuer de fonctionner.

Les rongeurs ont pris soin d'aménager un nid douillet au fond de leur terrier en apportant du foin. L'herbe sèche forme un épais matelas qui contribue à éviter la déperdition de chaleur. Celle-ci est également conservée grâce à l'hibernation en groupe. En effet, conserver une température constante, même si elle est basse, durant aussi longtemps, n'est possible que si plusieurs marmottes se serrent les unes contre les autres. Roulées en boule, le nez dans la queue, elles passent ainsi l'hiver en famille.

Les adultes servent de bouillotte

Les adultes, plus résistants, réchauffent les jeunes, nés le printemps précédent. Encore fragiles, ils ne sont guère à même d'hiberner seuls. Plus la famille est nombreuse et plus les chances de ressortir sain et sauf au printemps sont importantes.

C'est l'une des raisons de la vie en groupe des marmottes. Contrairement aux écureuils, leurs cousins arboricoles, les marmottes - parfois surnommées écureuils terrestres - ne restent pas solitaires. L'union faisant la force, les marmottes forment de petites tribus avec un mâle et une femelle dominants, d'autres, subordonnées, qui gravitent autour d'eux, des jeunes d'un ou deux ans, et les petits nés dans l'année. La vie en communauté permet de mieux se défendre contre les prédateurs qui sont nombreux. Les aigles guettent dans le ciel et repèrent leur proie de leur vue perçante. Les renards sont à l'affût et parviennent à capturer les petits ou les étourdis grâce à leur ruse. La martre et l'hermine se faufilent parfois dans le terrier pour s'emparer des nouveau-nés.

Mais les marmottes, sans cesse sur le qui-vive, ont développé un système d'alarme très performant. Elles émettent un sifflement puissant et aigu à la moindre alerte. S'il s'agit d'un rapace, un long coup strident suffit pour que tout le monde se jette dans l'abri le plus proche. Un autre ennemi sera signalé par une série de sifflets courts.

Mais il arrive que les marmottes sifflent pour d'autres raisons, soit pour communiquer entre elles, soit pour intimider des membres d'une autre tribu. Car si les rongeurs d'une même famille s'entendent bien entre eux et se protègent, il n'en va pas de même avec des marmottes d'une autre famille.

Chacun défend son territoire contre tout intrus par des démonstrations agressives qui peuvent aboutir à une poursuite infernale voire un combat sans merci. Les grandes dents des rongeurs se révèlent alors des armes redoutables qui infligent des blessures parfois fatales. Les marmottes d'allure si bonhomme ne sont pas si placides que cela. La loi du plus fort règne aussi chez elles et peut causer des drames.

La vie des marmottes n'est pas si facile que cela entre le milieu rude qui impose une hibernation longue, dont la sortie est chaque année une victoire, et la défense du territoire ou de la famille, pour les mâles dominants, qui se voient régulièrement remis en cause.

Quand aux subordonnés, ils ont à peine la possibilité de se reproduire au sein de la famille. Les mâles secondaires y parviennent quelquefois mais pas les femelles. S'ils veulent perpétuer eux-mêmes l'espèce, ils doivent quitter la tribu pour aller en fonder une autre ailleurs. Tâche extrêmement difficile car les meilleurs emplacements sont déjà occupés par d'autres marmottes. De plus, la vie en solitaire est très aléatoire et bien plus dangereuse, car une marmotte seule doit redoubler d'attention pour éviter les attaques des prédateurs.

Pourtant, les marmottes se maintiennent dans les Alpes. Menacées au début du siècle, elles bénéficient désormais des espaces protégés dans les parcs nationaux. Elles ont été réintroduites dans plusieurs régions des Alpes, ainsi que dans les Pyrénées et le Massif Central, où elles se sont réadaptées. Elles font la joie des amoureux de la nature qui peuvent les observer à la belle saison en train de jouer, de se nourrir ou de paresser au soleil… tout en ayant l'œil ouvert, et le bon !

Christine TIMMERMAN



Texte extrait du magazine Les Veillées des Chaumières N° 2610